Le test en vidéo
Flashback. Nous voici sur Kickstarter, le site qui a permis aux plus grands héros de notre ère moderne de se rassembler avec les fans de la première heure pour relancer des projets ou pour annoncer de nouvelles pépites qui ne pourraient pas forcément être commercialisé aujourd'hui de la même façon qu'à l'époque. C'est là, donc, que Ron Gilbert, sorte de dieu vivant qui incarne à lui tout seul une certaine idée des années 90, annonce sans trembler des genoux qu'il va produire la suite à Day of the Tentacle, son plus beau bijou avec Monkey Island jusqu'à présent. Les fans accourent, même s'ils savent que The Cave, qui se vantait de la même chose (mais du côté Tim Schafer, le deuxième du duo de génie de LucasArts), avait été un très bon jeu, très nostalgique et très proche de l'univers, mais avec ce petit quelque chose en moins au niveau du graphisme. Un oldie qui ne s'assumait pas. Sauf qu'avec Thimbleweed Park, on comprend très vite qu'on assume. Totalement.
Le jeu s'ouvre sur un meurtre. Est-ce le passé, le présent, le futur ? On ne sait pas. Nous sommes en 1987. Le héros a un accent allemand, il agit comme un détective privé. Ou comme un criminel. Chuck est mort ? Qui est-il ? Aucune idée, mais me dit pas que t'as pas compris la référence à Chuck LeChuck, clin d’œil clin d’œil. Ça commence fort. Un meurtre. Flashforward. Un couple de détective enquête. Ils ressemblent à Mulder et Scully, mais en plus pixelisés. Ils rencontrent des autres personnages chelou : des plombiers déguisés en pigeon, un coroner qui ressemble au shérif, qui est selon moi une vague copie du Dr Fred. Flashback. On incarne un clown miteux qui a des choses à se reprocher. Il insulte les gens et il a des dettes dans un cirque. Flashforward, des disparitions et un croquemitaine étrange. Bref, c'est monté comme un film noir et on est vite perdu, mais quel pied de jouer avec cette galerie de personnages, des fois deux en même temps.
Fan-service over 9000
Dans l'ambiance, et là où c'est assumé, c'est qu'on est dans un système type ScuMM (celui inventé pour Maniac Mansion par Ron Gilbert). Les personnages ont une fenêtre en bas avec l'inventaire, et avec une liste d'action comme voir, écouter, utiliser, pousser, tirer et j'en passe. Le but est de combiner des objets ramassés avec d'autres pour résoudre des énigmes, quelquefois farfelues. Le tout est enrobé de blagues douteuses, et de références plus ou moins explicites à l'univers de LucasArts de l'époque (les machin-o-Tron 3000 du shérif, la geekette qui veut bosser pour un studio au nom proche de Lucasfilm Games, certains personnages...). Un peu trop ? Tout dépend, au-delà de l'hommage, on sent une vraie volonté de faire plaisir aux fans de la première heure, et c'est réussi. De l'humour au système de jeu, en passant par certains décors qui semblent provenir des vieux jeux de Gilbert, le fan service est au rendez-vous. Notez que cet humour est présent dès les menus, où l'on vous demande de choisir entre le mode « casu » pour les mauvais et le mode normal pour les vrais. De quoi ne rien louper de toutes les énigmes, certes un peu moins décousues voire incompréhensible qu'on a pu connaître dans les années 80s.
Justement, si on doit trouver un bémol, notons qu'il y a quelques détails qui ont été lissés pour les besoins du public de gamers qui est sans doute devenu plus exigeant et plus impatient avec le temps. Notamment la présence des indicateurs en surbrillance en cliquant sur tab, ce qui permet de savoir les objets qui peuvent être utilisés dans le décor. Mais aussi le fait que tous les personnages ont d'une certaine manière un bouquin dans leur inventaire qui fait office de «todo list» avec le détail de chaque objectif du chapitre. A notre époque, il fallait vraiment passer la souris partout sur la scène pour savoir comment avancer. Et sinon, attendre la publication de la soluce dans le magazine de l'époque, chaque mois.
Enfin le retour du roi
Mais bon, passons ce point qui n'enlève rien de la qualité du jeu. Déjà, les graphismes. Certains décors semblent sortis de Monkey Island 2, le plus abouti en la matière. Des nuances de rouges sur les soleils couchants au bord de la rivière, des teints grisâtres dans la ville abandonnée, les couleurs chaudes des blasons et des tapis du hall de la mairie, c'est magique de se rappeler à quel point on savait faire jouer l'imaginaire avec si peu de pixels. Autre point fort, le doublage. Bon, très bon même pour certains personnages, heureusement en VO (avec sous-titrage possible), et toujours avec ces pointes d'humour qui sont la marque de fabrique de LucasArts. On note aussi de multiples phases où les personnages brisent le 4e mur, comme à l'époque, nous expliquant par exemple que la cinématique traîne en longueur et qu'on va donc passer à l'action, ou qu'il n'est nul besoin de sauvegarder car on ne peut pas mourir dans le jeu.
Au final, l'expérience de jeu est unique. On se retrouve avec un vrai jeu d'enquête où il faut recoller les morceaux et prendre des témoignages pour comprendre l'histoire. Mais on s'amuse aussi. J'irais même jusqu'à dire que je n'avais pas ressenti ça dans un point & click depuis Day of The Tentacle et Monkey Island. Les jeux de Pendulo type Runaway s'en étaient vraiment approchés dans les années 2000, mais là, Ron Gilbert passe à la vitesse supérieure et ajoute en sus sa petite touche personnelle en terme de design, d'ambiance globale plutôt sombre (Monkey Island était sombre voire faisait peur, Maniac Mansion et DoTT étaient quelques fois angoissants, bien que ces trois jeux étaient des vraies comédies) et d'humour. Là où certains ont vu en ce jeu le meilleur hommage à feu LucasFilm Games, moi j'y vois clairement la suite tant espérée. Je n'ai pas forcément envie de croire en un revival du genre, sauf si Ron Gilbert, Tim Schafer, Ken et Roberta Williams, Dave Grossmann et autres Al Lowe sont de la partie. Au passage, notre ère moderne permet une intégration totale à Steam et donc le déblocage de plusieurs succès à la con, comme par exemple un trophée lorsqu'on ramasse 50 grains de poussière dans la ville (hm. Ok.), sans doute pour se foutre de la tronche de tous ces jeux où il fallait parfois bourrer son inventaire comme un porcinet en espérant qu'on utiliserait un jour la moitié des items récoltés ?
Quoi qu'il en soit, et malgré un seul gros point faible situé au niveau de l'ambiance musicale, peu présente et répétitive, même si globalement elle ne perturbe pas, ce jeu est à mettre entre toutes les mains. Enfin, plus globalement, entre toutes les mains de ceux qui ont joué aux jeux d'aventure graphiques des années 80 et 90, qui ont suivi les péripéties de Larry Laffer, de Guybrush Threepwood, du Dr Fred ou de Zak McKracken et qui ont attendu, un peu comme moi, près de 25 ans de pouvoir retrouver la même sensation d'émerveillement et de découverte qu'avec des yeux purs et vierges de gamer. Merci Ron. ■ Jivé pour GameTrip.net